3 mots. 3 raisons d'écrire. 3 mots qui peuvent vivre seuls ou reliés. 3 mots séparés, parce que je ne peux choisir une formulation. Et parce que de cette façon, pas de restrictions, les fenêtres sont grandes ouvertes!

mardi 19 octobre 2010

Destination


Destination, weaving village! Avant de partir du Québec, j'ai dit que je voulais apprendre au moins trois choses au Laos. Les apprentissages sont commencés! Je prends des cours de Lao, j'apprends à cuisiner des mets Lao et Thai, et j'ai pris un cours de tissage! Je compte bien dépasser le nombre de trois différentes choses à apprendre. Je dois dire que l'apprentissage du Lao est clairement le plus ardu des trois. Mais revenons au tissage. Le «weaving village» comme on l'appelle ici est le village voisin du restaurant Dyen Sabai, où je vis. Il est tout petit et de style assez campagnard, mais plusieurs boutiques se succèdent sur la route de terre. Dans la plupart, on vend des foulards, napperons et «sin» ou «sarang» (jupes typiquement laosiennes). Dans d'autres on vend aussi le papier de «mulberry» fait à la main, sous forme de lampe, de carnets, d'albums photos... On peut s'arrêter dans ces boutiques et voir les villageoises à l'oeuvre sur les métiers à tisser ou en train de faire le papier. Il est particulièrement intéressant de voir chacune des étapes menant aux produits finis et de réaliser aussi que tout ce qui est utilisé provient de ce qui pousse autour d'eux. Par exemple, pour la soie, les habitants ont leur propre «élevage» de vers à soie et utilisent différentes plantes, fleurs et graines pour donner de la couleur à la soie. Le papier, lui, est fait à partir des fibres d'un arbre appelé «mulberry»... on appelle aussi le papier «saa paper». Je ne sais pas si «mulberry» fait vraiment référence à un mûrier. C'est le genre de détails qu'il est difficile de vérifier, même avec un Lao qui parle bien anglais. En tout cas, ces arbres qu'on utilise pour fabriquer le papier poussent un peu partout. On en défait les fibres blanches du troncs et on les laisse tremper dans l'eau. Ensuite, on fait bouillir pour en faire une sorte de pâte blanche (en y laissant des fibres pour une belle texture). Dans un grand bac rempli d'eau, les femmes étendent la pâte sur des grandes plaques quadrillées, y ajoutent des fleurs ou des feuilles de bambous et font sécher au soleil. Avec des fleurs et des graines, elles peuvent donner de belles couleurs vives au papier. Mais revenons-en au tissage.

Évidemment, la soie est la matière la plus utilisée, mais on retrouve aussi du coton. Dans ce village, il est clair que la soie et le coton proviennent bien du Laos, contrairement à ce qu'on retrouve dans le marché de nuit, où la provenance des objets de soie est variable. Dans la boutique de Boualay, j'ai pu voir chaque étape de production des fils de soie, ainsi que la réalisation des foulards. Wow! Quel travail! Je réalise en les regardant et en essayant moi-même de faire un foulard de soie que le temps et la patience que cela prend sont clairement supérieurs à la valeur de vente de ces petits bijoux. Et, j'ai essayé l'un des modèles les plus simples... J'ai fait la partie tissage uniquement. Le montage du métier à tisser avait déjà été fait. Faire le foulard a dû me prendre au total 9h, ce qui est quand même acceptable pour une débutante. Néanmoins, le montage des fils pour ce foulard a pris, à ce qu'on m'a dit, une journée entière. On comprend donc qu'elles font plus d'un foulard du même type à la fois. Celui que j'ai fait comporte seulement deux couleurs et ne nécessite aucune broderie. Ça m'aurait pris des semaines pour en faire un comme celui de ma voisine. La broderie se fait au fur et à mesure qu'on avance avec le métier à tisser, en faisant passer de tout petits fils sous quelques cordes seulement. Le montage qui donne le «design» à ce type de foulard prend trois jours... et je n'arrive toujours pas à imaginer comment on peut arriver à reconnaitre quel type de design on obtiendra avec la façon dont on fait le montage. Quelques tiges de bois, des tonnes de petites cordes de soie qui passent de part et d'autres de chacunes des tiges de bois selon un modèle précis et très ordonné, voilà qui peut donner un modèle avec des personnages ou des formes géométriques toutes égales. Ouf!

J'ai vraiment pris plaisir à faire le tissage. C'est très routinier et ça demande beaucoup de concentration. Dès que je tombe dans la lune, j'oublie une étape, ou encore, je n'appuie pas sur la bonne pédale... ou bien je laisse un bout de fil sur la bordure... ou je fais le coin trop serré et c'est inégal... Bref, il faut y mettre toute sa concentration. Ça fait du bien pour faire le vide et décrocher. Évidemment, c'est amusant pour quelques avant-midi, mais à longueur de journées, de semaines, de mois, et même, d'années, je trouverais certainement le temps long! Et sans doute que je développerais soit une tendinite à l'épaule, des douleurs chroniques au dos ou au cou, ou alors, je conserverais une posture voûtée, comme la plupart des femmes âgées ici. Chapeau à ces femmes patientes et endurantes!

L'apprentissage comme tel a aussi été une expérience en elle-même. Mon «entraîneure» de tissage était une femme plutôt âgée, laosienne, ne parlant que le lao (ou peut-être aussi un autre dialect du laos). Et toute nos compatriotes ne parlaient aussi que le lao. Je dois avouer que la dame n'était pas très pédagogue s'entêtant à me répéter incessament les mêmes choses en lao, plus lentement ou plus fort, mais sans support gestuel... Au bout d'un certain temps, j'ai l'impression qu'on me prenait pour une personne stupide qui ne comprend jamais rien... Mais c'est que disons que peu importe ce qu'elle aurait dit, je n'aurais rien compris! Elle en venait parfois à me tapper les doigts ou me donner une tappe sur l'épaule lorsque je faisais des erreurs, me rappelant ma première professeur de piano, vieille religieuse n'ayant jamais accepté le monde contemporain! Toutefois, ma professeur de tissage avait un merveilleux sourire lorsque je faisais un bon coup! En tout cas, l'orthophoniste en moi a encore une fois expérimenté ce que peuvent ressentir des personnes aphasiques de type Wernicke. Tout ce que j'entendais ne faisait aucun sens pour moi et bien que je sois capable de parler, tout ce qui sortait était incompréhensible pour les autres. Génial comme expérience, mais combien difficile. Et le regard exaspéré des autres lorsque je ne les comprends pas, malgré leurs efforts... comme si j'étais une imbécile! Ça renforce bien l'importance de former les partenaires de communication afin de les outiller pour mieux se faire comprendre par la personne ayant des difficultés de communication.

Tout près de la boutique de Boualay, il y a la boutique de Tadam, dont j'ai oublié le nom. Tadam est une jeune entrepreneure laosienne! Début trentaine, célibataire, parlant un très bon anglais et ayant un esprit artistique développé, elle a ouvert sa propre boutique de soie et de coton. Elle fait ses propres modèles et ses propres couleurs, qui sont différents de ce qu'on trouve dans toutes les autres boutiques et au marché de nuit. À date, c'est la seule que j'ai vu qui offre des modèles différents. Sa boutique est belle, bien installée et très conviviale. Tadam offre un café, un thé, un verre d'eau à quiconque vient visiter sa boutique. Elle se fait un plaisir d'expliquer les étapes menant à ces beaux résultats et même de faire essayer quelques lignes sur un foulard ou un napperon. Chaque fois que je la visite, elle me montre ses nouvelles créations. Dès ma deuxième visite chez elle, elle m'a invitée à manger avec elle et nous avons donc passé des heures à discuter ensemble. C'est vraiment intéressant d'entendre son point de vue sur sa propre culture, surtout qu'elle sort un peu du cadre. Le début d'une amitié?

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