3 mots. 3 raisons d'écrire. 3 mots qui peuvent vivre seuls ou reliés. 3 mots séparés, parce que je ne peux choisir une formulation. Et parce que de cette façon, pas de restrictions, les fenêtres sont grandes ouvertes!

mardi 12 février 2013

Moi. Destination. Kilimandjaro ou le bout de moi-même?

L'ascension du Kili... déjà quelques semaines que je suis rentrée en Gaspésie et donc... déjà plus d'un mois que cette ascension est terminée. Je devrais bien être redescendue... Mais je ne le suis pas encore tout à fait... Et là, je voudrais bien mettre des mots sur cette aventure, mais on dirait qu'elle m'échappe... Autant le souvenir émotionnel est vif, autant les souvenirs semblent vouloir s'éloigner de moi...
Assise à la Pétrie, je bois un thé et en lisant la description, je me rends compte que j'ai choisi un thé d'Afrique du Sud. Ça me fait sourire.. est-ce que je cherche des saveurs de l'autre continent? Pourtant, je dois l'avouer, les saveurs en question me lèvent encore un peu le coeur... souvenirs intestinaux d'Afrique!

Pendant l'ascension, les idées ne manquaient pas pour écrire... mais l'énergie n'y était pas. L'effort demandé simplement pour écrire dans un cahier quelques notes sur ma journée me paraissait énorme... suffisamment pour laisser tomber plus d'une fois. Dormir était la seule option! Et maintenant, je ne sais plus par où commencer...

Et si je commençais par la fin?


Le sommet... J'y suis, je suis émue, c'est beau, c'est magnifique, c'est grandiose! Petit être que je suis au sommet de l'Afrique, je me sens minuscule, et vulnérable. Mon regard croise celui des mes acolytes, ça me touche, je suis si heureuse d'y être avec eux, que tout le monde y soit, que tout le monde ait réussi. Chaque fois que j'essaie d'exprimer comme c'est beau, ma voix se casse et émue, je me tais. J'observe, je profite de la vue, du moment, car je sais qu'il sera bref. Rapidement nous devons redescendre, revenir là où l'oxygène est plus généreuse et notre corps mieux adapté. Photos de groupe, quelques photos individuelles, des duos et il est temps de repartir. Marco, qui ne va pas très bien physiquement redescend encore plus rapidement que nous. Dernier coup d'oeil, et je repars, vers le bas cette fois. Le soleil m'éblouie et me réchauffe enfin! Le ciel est dégagé, d'un beau bleu glacial, le glacier étincelle sous la belle lumière du matin et mes yeux brillent de larmes d'émotions. Voilà, c'est tout. Le sommet c'est ça. Ce n'est que ça. Alors qu'y a-t-il de si extraordinaire à cette aventure? Qu'allons-nous y faire, y chercher?
Belle surprise que j'ai eu, cette semaine, que de m'entendre dire: " Ce dont je suis vraiment fière, c'est de la façon dont je me suis rendue au sommet, c'est de l'ascension elle-même et de l'attitude que j'ai eu tout au long. C'est ça, qui m'a menée au sommet." L'atteinte du sommet, c'est le bonus, la prime qui vient avec l'effort, mais la réussite, c'est le chemin parcouru pour s'y rendre. Mais ne vous méprenez pas, je suis vraiment fière d'être allée au sommet, et pour le parcourir ce chemin, il fallait bien un but!

Et je pense que la réussite du groupe, l'atteinte du sommet par tout le monde, a été bien méritée!!

C'est tout de même dans de drôle de circonstances que nous avons débuté l'ascension. Après nos déboires dans les aéroports, nous sommes enfin arrivés à notre hôtel d'Arusha, le Kibo Palace, tard dans la nuit. Pas du tout prêts à aller se coucher, nous avons finalement pu aller dormir aux petits heures du matin, après avoir défait et refait les bagages pour être fin prêts pour le grand départ. Ce n'est donc qu'en cumulant 2h allongée, sans vraiment dormir, que j'ai débuté la journée du départ. C'est avec excitation que nous avons atteint l'entrée du parc par la porte Machamé. Je suis contente d'y être enfin, de voir moi-même cette "gate" dont j'ai entendu parler et que j'ai vue sur photos. Je réalise à peine que j'y suis réellement et que c'est maintenant que ça se passe, le Kilimandjaro. À la vitesse Tanzanienne (lente), on attend le signal de départ. En attendant, on grignote, on s'inscrit au registre, on prend des photos, on se rend compte que, même si on n'est qu'à 1800 m, courir nous essouffle plus rapidement qu'à l'habitude. Et le signal est finalement donné, on se rend à l'entrée du sentier et à la file indienne, on commence à grimper!








C'est avec une impression de grande contradiction que je débute cette première journée d'ascension. À l'intérieur, je bouillonne d'énergie et d'excitation, mais mon corps ne peut pas l'exprimer. On nous impose une vitesse de marche très lente, qui nous semble à tous, bien en-deçà de nos capacités physiques. Mais nous le savions, nous étions préparés mentalement à suivre un rythme presque exaspérant tant il est lent. "Pole pole" nous dit-on. Ces deux mots, nous les entendrons à maintes reprises dans les jours qui suivront "Lentement".

Assez rapidement, je prends goût à ce rythme. Cette lenteur me convient, me donne le temps d'être la contemplative que je suis, de préserver mes énergies. Je ralentie tous mes mouvements, ma parole... et diminue même le ton de ma voix ("on ne doit plus entendre grand chose" me direz-vous!) Je me rends compte après plusieurs heures que le sentiment de bien-être et de confort que j'ai dans ce rythme me vient de mes expériences de retraites de méditation. Vivre au ralentie, me rappelle parfaitement le rythme que je prends en retraite de méditation, manger, marcher, bouger lentement, garder le silence. Cela me met réellement dans un état d'esprit très calme et agréable. À ce moment-là, je savais que la méditation était un bon outil pour moi dans toutes sortes de situations, mais je ne savais pas encore à quel point cela me servirait!

Le guide de tête a un rythme de marche irrégulier. Il s'arrête souvent pour laisser passer des porteurs. Je n'aime pas trop briser mon rythme de marche et je finis même par être exaspérée de cette irrégularité. Je ralentie donc encore plus ma marche pour prendre une distance avec le peloton de tête et continuer de façon plus régulière. Nous sommes quelques-uns derrière et l'ambiance est plus qu'agréable, Mélanie, Marco et Gérald font partie de ce petit groupe. Gérald et Marco forment un duo succulent pour les oreilles! Gérald, qui a toujours le mot pour rire, est bien alimenté par Marco qui réfère régulièrement au "Tarot de la sagesse animale", encyclopédie vivante qu'il nous crée au fil de la randonnée. Tous les signes de la faune et de la flore sont susceptibles d'être interprétés par Marco, qui y va de réflexions souvent cocasses et parfois profondes.

Nous terminons cette première journée épuisés, à la noirceur. Notre départ retardé d'une journée a aussi désorganisé notre équipe Tanzanienne, ce qui fait que notre souper est plutôt tardif et que quelques équipements assez importants sont manquants. Il nous rejoindrons le lendemain, à notre plus grand bonheur!

Ma première nuit se passe bien, je trouve un certain confort sous la tente et l'épuisement me permet de dormir d'un bon sommeil toute la nuit. Le soleil est au rendez-vous pour toute l'avant-midi. C'est avec émotion que j'aperçois pour la première fois le sommet du Kilimandjaro. Ça, tout comme plusieurs autres petites choses, me remplit les yeux de larmes d'émotions. La fatigue, l'altitude, l'aventure me rende pas mal émotive! À la blague, moi et Mélanie nous plaisons à dire qu'en haut de 3000 m, on a la larme facile!

Le grand obstacle de cette deuxième journée, c'est la température. En après-midi, une violente averse interminable nous tombe dessus. La plupart d'entre-nous se retrouvons avec de l'équipement mouillé. Michel, un de nos deux guides québécois, m'est de bon conseil et d'une aide précieuse. Me protégeant avec l'aide de quelques autres membres de notre groupe sous son poncho de pluie pour que j'enfile le plus rapidement possible pantalon et manteau de goretex, il me permet de sauver de la pluie mes précieux vêtements de mérino. Rester au sec, c'est primordial sur la montagne. Nous devons tout faire pour préserver nos vêtements et nos bottes de la pluie, afin d'éviter le froid. Plus tard, Michel me prête aussi ses couvres gants, parce que j'ai les mains gelées. Il prend bien soin de nous! À la fin de la journée, pour le remercier, je partage avec lui ma Kit Kat - ça a son pesant d'or sur la montagne! Malgré tout, je termine la journée avec les bottes un peu mouillée. Je reste confiante, mes bas pourront sûrement absorber l'eau dans les prochains jours.

Durant cette deuxième journée, on commence à prendre conscience des effets de l'altitude. Mélanie a une journée difficile. Elle est épuisée, et ralentie beaucoup. Quelqu'un lui prend son sac, ce qui la soulage beaucoup. C'est incroyable comme cela peut faire une grosse différence. De mon côté, je me sens bien. Je me sens très calme, relaxe. Certes, ce sont de grosses journées, mais j'y vais à mon rythme, lentement, et cela me convient très bien. Mon mot d'ordre: me préserver! Tout comme cela fait beaucoup de sens pour moi dans mon travail, la prévention est au centre de mes actions! Je préserve le plus possible mes énergies, j'évite ce qui fait augmenter mon rythme cardiaque ou ce qui me fatigue et je m'assure de garder le plus de force possible pour l'ascension finale, qui sera l'étape la plus exigente. Je me sens positive et je fais fasse aux obstacles avec calme. Je garde en tête que tout ce que je peux faire, c'est de continuer et de le faire de mon mieux. Alors j'avance! J'aime la montagne, je me sens à ma place. En prenant mon pouls,  ma saturation et ma pression au soir, Michel me fait remarquer que je suis très calme, et que c'est aussi ce que disent les chiffres. Je suis contente! C'est bon signe, c'est une bonne attitude.

Au troisième jour, c'est mon tour d'avoir une journée plus difficile. Une journée "up and down" dans le parcours, dans mes émotions et dans mon niveau d'énergie! Elle débute à 3800 m d'altitude dans la pluie et se poursuit dans la grêle, la neige, le vent et le froid jusqu'à 4600 m .... puis se termine dans la pluie à 3900 m! On aura aussi droit à un effrayant orage électrique; un tonnerre grondant sans arrêt, parsemé de coups si fort qu'on aurait dit des coups de feu, et des éclairs d'une luminosité intense, signe de leur proximité dangereuse. On apprendra quelques jours plus tard que le leader d'un groupe qui nous suivait est mort foudroyé dans cet orage. Nos guides tanzaniens auront voulu préserver notre positivisme d'équipe en ne nous le racontant que lorsque le soleil serait de retour.

Durant cette journée, je me vois garder un rythme encore plus lent, je sens que j'ai encore plus besoin de préserver mes énergies. J'ai froid et je suis fatiguée. Je continue tout de même à marcher sans me plaindre et mon moral tient bon. Je trouve moyen de faire un arrêt dans la neige pour rajouter un couche isolante sous mon goretex; ça me fait du bien. Malgré cela, j'ai trop froid pour enlever mes mitaines et me sortir des collations. La pause du diner arrive beaucoup trop tard pour moi, il est près de 14h30, et je suis à bout de force. Marco m'offre généreusement une barre tendre en chemin, ça me fait du bien, mais ce n'est pas suffisant. Je continue de marcher. J'ai mal à la tête; c'est l'altitude. Je vois enfin la tente du groupe, à Lava Tower. Il ne me reste qu'une bonne pente pour m'y rendre. Gérald me rejoint et bavarde avec moi. La discussion est si intéressante que je n'écoute pas mon corps qui me dit de conserver mes énergies en gardant le silence. J'arrive enfin en haut, presque tout le monde est arrivé et m'accueille. Je pleure lorsque Mélanie me sert dans ses bras, d'épuisement, de faim, de froid et de soulagement. Là, le robinet est ouvert, ça prend des heures avant que ne cessent de couler les larmes sur mes joues. Je mange pour reprendre des forces. On a droit à des chants tanzaniens d'accueil et d'encouragements sous la tente. Ça fait chaud au coeur, les sourires sont sur toutes les lèvres... Je suis émotive, mes yeux restent plein d'eau!
Après ce diner, nous redescendons vers le Baranco Camp. Je reprends la marche pas encore tout à fait remise. Je marche en pleurant silencieusement. Je ne sais plus trop pourquoi je pleure, mais j'ai besoin de laisser sortir l'émotion, je me sens faible. Je cache mes larmes derrières mes lunettes de soleil. Malgré les nuages, la lumière est éblouissante. Je médite en marchant. J'expérimente les effets de la méditation Vipassana comme outil pour surmonter les malaises physiques. Je me rappelle les principes, "Anicha", tout se transforme, rien n'est permanent. Je "scan" mon corps en observant les sensations, sans réagir à ces sensations. Je reste objective. Je parviens de cette façon à me débarrasser de mon mal de tête. Après un certain temps, et quand mon corps reprend des forces (digestion et descente aidants), je discute avec ceux qui m'entourent. J'ai une belle discussion avec Mélanie, puis ensuite avec Marco et Michel. Ça fait du bien. La montagne est propice aux discussions personnelles, profondes, aux remises en question, à l'introspection... Je me sens beaucoup mieux.  

En fin de journée, je suis contente d'arriver au camp. Je m'applique à bien préparer mon espace dans la tente et à préparer tout de suite mon matériel pour le lendemain. La colocation de tente avec Mélanie se passe à merveille. C'est précieux de partager cette intimité avec quelqu'un de chez moi. On se découvre au fil des jours et il s'installe une belle complicité. On se prépare souvent à la même vitesse (on est souvent les deux dernières)... on est sur le même "beat"! 

J'arrive difficilement à manger au souper. Ça ne passe pas vraiment. Je me couche et m'endors aussitôt. Je file jusqu'au matin sans même ouvrir l'oeil de la nuit. Ça me fait du bien, c'est ce dont j'avais besoin. De bonnes nuits et une vitesse de marche très lente, ce sont mes deux moyens pour tenir le coup! Je fais un peu le bilan de comment ça se passe jusqu'à présent. Je n'ai pas de douleurs musculaires liés à la marche, à date mon coeur ne pompe plus fort que rarement, je ne m'essouffle pas, sauf parfois en montée plus intenses. Je dois alors éviter de parler en marchant. Autrement je respire calmement et j'arrive même à récupérer tout en marchant. Par contre, j'ai mal aux genoux en descente... J'essaie de ne pas penser à la descente finale. Il faut d'abord monter!

La pluie qui s'est poursuivie toute la nuit et qui tombe encore au matin entraîne une petite baisse de moral dans l'équipe. Certains s'inquiètent du manque de vêtements secs, et presque tout le monde s'inquiète pour les bottes mouillées. On espère du soleil avant l'ascension finale. Dans l'ensemble toutefois, l'ambiance est belle dans le groupe. Le stress et les conditions extrêmes, au lieu de générer des tensions entre les membres, laisse place à beaucoup d'entraide et de solidarité. Il n'y a pas de place pour la négativité. Si un commentaires négatif ou défaitiste est lancé, il ne trouve emprise nulle part et se perd! Si certains ont des baisses d'énergies, sont malades ou se sentent moins d'attaque pour la suite, les autres sont là pour supporter, remonter le moral, faire rire ou aider, et l'équilibre est retrouvé. C'est une expérience de groupe assez extraordinaire qui me fait oublier toutes les appréhensions que j'avais pu avoir au fait de partir à 16 personnes, de tous âges et tous horizons, dans des conditions extrêmes. 

La quatrième journée se poursuit dans la pluie du matin au soir! Heureusement, ce n'est pas trop froid. Mon moral est bon. La journée commence par l'ascension du mur de Baranko. C'est vraiment un mur! C'est la portion la plus technique du trek. Pas évident pour ceux qui ont le mal des hauteurs, comme c'est le cas pour Julie! De mon côté, j'ai un peu les jambes molles, mais je suis tout de même en contrôle. Michel m'aide beaucoup pour les passages difficiles. J'arrive à bien récupérer sur la plateau en haut du mur. Il faut dire que ça m'a fait pomper un peu! 

Sur le plateau, je fais un long bout avec Marco. Aujourd'hui, c'est pour lui que c'est plus difficile moralement. On a une belle discussion et on se fait une pause Kit Kat! C'est encore plus réconfortant pour l'âme que pour le corps! Malgré la pluie, je trouve que c'est une belle journée et je suis vraiment de bonne humeur! À notre arrivée au camp, on nous accueille sous la tente par des chants, "Hakuna Matata", "pacha pacha". Ça nous redonne à tous une belle énergie et on trouve même la force de danser un peu! Le lunch est très bon, ce qui n'est pas toujours le cas. On a droit à des frites! On est content d'être là tôt. On peut en profiter pour relaxer, écrire un peu, se laver à la débarbouillette, se reposer, se coucher tôt. Je profite de ce moment tranquille pour lire la lettre que ma mère m'a écrite avant le départ. J'attendais le bon moment pour la lire. Ça me touche énormément, c'est beau. Comme c'en est presque devenu une habitude, je pleure! Merci Maman pour cette magnifique lettre, je t'aime!!





Le matin du jour 5 est magique! On se lève avec le soleil! On n'en revient pas! Ça fait tellement du bien ces chauds rayons! La vue est aussi magnifique. La veille au soir, on pouvait apercevoir le sommet du mont Meru, un voisin, et même les lumières de la ville à nos pieds. Mais ce matin, on voit le sommet du Kili! Il y a de l'excitation dans l'air ; l'ascension finale se fera cette nuit! Aujourd'hui, nous ne marchons qu'un peu moins de 3h. Auparavant, notre agence faisait le jour 4 et le jour 5 en une seule longue journée, qui se poursuivait par la nuit de l'ascension. D'avoir cette journée de divisée en deux permet d'être plus en forme, mieux reposés pour le sommet. Nous apprécions! L'avant-midi oscille entre brume et soleil. On profite de l'après-midi pour bien préparer le matériel et dormir. Il faut penser à tout! On essaie les ganses de nos bâtons avec les grosses mitaines. On ne met que le strict minimum dans le sac à dos... le poids du sac peut faire une grosse différence. Je suis un peu inquiète, car mes bottes n'ont pas pu sécher complètement. J'isole mes bottes en les recouvrant entièrement de duct tape. Je lis les dernières lettres d'amies qu'on m'a donné avant de partir. Elles m'apportent réconforts, force et encouragements! Je me sens prête pour cette dernière étape! Je me couche après le souper. Le départ est à 23h! Jusqu'à 22h, je dors comme un bébé! On devait nous réveiller à 21h, mais les guides ont passé tout droit...!

Heureusement, Mélanie et moi étions déjà presque prêtes. Malgré cela, le début de l'ascension entraine un énorme stress pour Mélanie. Nous devions tous partir ensemble et se suivre à la queue-leu-leu, mais nous sommes partis sans Mélanie, qui était au toilette. Elle m'en avait avertie, j'ai avertie un guide... mais l'information s'est transformée et tout le monde a cru qu'un de nos guides était avec elle pour l'attendre... alors que non. Elle a du commencer l'ascension en marchant plus rapidement pour nous rattraper, mais surtout, elle a eu une grosse charge de stress qui lui est resté toute la nuit. Cela lui a grugé beaucoup d'énergie. De mon côté, je ne cessais de regarder derrière en espérant voir sa lumière de lampe frontale. Lorsqu'elle nous rattrape, je suis enfin soulagée. On se dit peu de mots, et on marche. Je me sens déjà fatiguée. C'est "pole-pole", très lent. J'aime bien le rythme, il se rapproche beaucoup de celui que j'ai adopté dans les derniers jours. Mélanie et moi sommes les dernières. 

Une première pause. Depuis combien de temps marchons-nous? Je n'en ai aucune idée, et c'est mieux ainsi. Vaut mieux perdre toute notion de temps et de distance, sinon, on se crée des attentes, on espère, on voit le temps qui avance lentement et ça peut vite devenir décourageant. Je suis contente de cette première pause. Je me dis que c'est sûrement signe qu'on a parcouru une certaine distance. La pause est courte, nous repartons. Michel nous envoie devant, Mélanie et moi. Mélanie est étourdie et encore empreinte d'émotions fortes. Nous suivons le rythme un certain temps, mais Mélanie a besoin d'une pause. Elle ralentie, puis se met sur le côté. Je dois continuer. On prend un pause un peu plus loin. J'ai vraiment hâte de voir Mélanie arriver. Elle me rejoint enfin. Elle ne va pas mieux, mais elle est déterminée à continuer!

En marchant, je bois beaucoup d'eau et je mange depuis le début de l'ascension. Avant de partir, j'ai préparé de petits bouchées, prêtes à être mangées, de barres et de jujubes énergisants. J'en profite pour manger et boire maintenant, pendant que je vais bien, car je sais que j'ai besoin de forces et que plus haut, ce sera trop difficile de grignoter. J'ai chaud, je suis habillée assez pour affronter les pires froids, mais pour l'instant, le temps est doux. S'habiller et se déshabiller demande trop d'efforts, alors j'endure la chaleur. Je marche et je m'endors presque en marchant. Malgré cela, je trouve le temps de regarder autour et je vis vraiment de petits moments magiques...
D'abord, je vois Moshi, la ville illuminée à nos pieds, qui me laisse savoir combien on est haut. Puis j'assiste au levé de la lune. Un magnifique croissant orange qui monte lentement dans une légère brume.  Au bout d'un certain temps, j'aperçois le sommet, tout juste perceptible sur un fond d'étoiles brillantes. Je me nourris de cette beauté, je respire à fond, lentement et je souris. C'est bon! 

L'autre élément de magie, c'est le groupe. Ce groupe généreux de tapes dans le dos, de câlins et de partages de larme. C'est riche en émotion, ça donne de la force! 

On continue à marcher. C'est de plus en plus difficile pour tout le monde, mais pour certains, plus que d'autres. Doryne est malade. Mélanie est toujours étourdie et Marco ne se sent pas très bien, il est épuisé. À ce stade-ci, plusieurs se sentent découragés par l'ampleur de l'ascension, mais tout le monde trouve la force de poursuivre. Je vois le sommet, je me dis qu'il est tout près, qu'il est atteignable. En en parlant plus tard avec les autres, je me rendrai compte que plusieurs le trouvaient au contraire si loin. Je marche et je n'ai toujours aucune conscience du temps et de la distance. En marchant, je pense à toutes sortes de choses. Je ne cherche pas à atteindre un point en particulier, je ne fais qu'avancer, avancer et avancer. Je me dis qu'à un moment ou un autre, j'arriverai. Je reste confiante et sûre de moi, j'atteindrai ce sommet.

Je marche et je médite. Je me concentre. Je dois être rendue environ au 3/4 de la distance à parcourir cette nuit. Je commence à avoir mal au coeur. Depuis longtemps déjà, j'ai un petit mal de tête que j'arrive facilement à endurer. Mais le mal de coeur m'indispose beaucoup plus. Dans ma tête, je me dis que je pourrais endurer un mal de tête beaucoup plus intense, mais qu'un mal de coeur, je supporte difficilement. J'ai le goût de me recroqueviller et de ne plus avoir à faire un effort physique. Mais je continue de marcher, machinalement. Je cherche une façon de me débarrasser de ce mal de coeur. Je n'ai plus d'eau dans mon "camel back" et prendre de l'eau dans ma bouteille, dans son sac isolant, me demande beaucoup trop d'efforts en marchant. Pourtant, ça me ferait du bien. Et je ne veux plus manger, parce que je sais que ça me donnera soif. J'ai vraiment l'impression que le début du mal de coeur coïncide avec le manque d'eau. J'espère une pause bientôt pour pouvoir boire. Je cherche une autre solution pour me débarrasser du mal de coeur... et j'en trouve une! La méditation. Je marche, je médite. Encore une fois, je me rappelle les principes de Vipassana et je m'y accroche. J'observe les sensations, sans m'y attarder. J'observe le mal de tête, de coeur, de talons. Ça vient, ça part, ça revient, ça repart. Je marche, un pas à la fois. Je ne génère ni aversion envers la douleur, ni désir envers le sommet. Je suis dans le moment présent, je vis dans le moment présent. Je vis. Je marche et je vis. 

Un pas à la fois. Suis-je capable d'en faire un autre? Oui. Alors je le fais. Et là? Oui, alors un autre. Et un autre. Et encore un autre. Sans cesse. Jamais je n'ai douté pouvoir faire un pas de plus. Alors je ne me suis jamais donné d'objectif plus grand qu'un pas. Je prends conscience de ce que cela veut vraiment dire "un pas à la fois". En faisant un pas à la fois, on peut vraiment se rendre loin, on trouve toujours la force pour un pas de plus. Je vis littéralement cette expression. Je pense aux élèves avec qui je travaille. La persévérance. Comment est-ce que je pourrai leur partager cette expérience? J'ai l'impression de n'être que persévérance et détermination. Trouverai-je le moyen de leur faire vivre ne serait-ce qu'une parcelle de ce sentiment? Je réalise que pour moi, persévérance et détermination sont inséparables. Ma persévérance passe par ma détermination. 

C'est difficile, exigeant, fatiguant. Qu'est-ce qu'on fait ici? Pourquoi est-ce que je tiens tant à atteindre ce sommet? Qu'est-ce que ça va m'apporter? et aux autres? Est-ce que vraiment ça fera une différence pour les enfants qu'on supporte, que je l'atteigne ou non ce sommet ? Pas vraiment, non. Mais je me suis engagée envers les donateurs à faire mon possible pour relever ce défi. Et j'ai le goût de le relever, de réussir. Je veux continuer, je sais que je suis capable. Je prends quand même le temps de me demander si, réellement, je suis en mesure de continuer. Et si je ne l'étais pas? Est-ce que je tournerais de bord, sans atteindre le sommet? Est-ce que mon orgueil est trop grand et je poursuivrais malgré des risques ou un malaise physique important? Et bien non. Je suis convaincue que si j'étais suffisamment mal, je redescendrais. Ma vie, ma santé, mon bien-être valent plus qu'un sommet, je ne le ferai pas à tout prix. Mais, je me sens suffisamment en forme, je contrôle bien mes symptômes d'altitude et je suis convaincue, en ce moment, que je peux y arriver. Alors, je marche. Un pas. Un autre. Encore. 

Et tout le long, je pense à ma famille, mes amis; aux lettres qu'ils m'ont écrites, aux dons, aux encouragements. Je pense aux enfants du Dr Julien, raison principale de ce défi que nous sommes en train de relever. Ça fait du bien de se remémorer tout ce beau monde derrière moi, ces belles paroles, ce support. En même temps, j'ai ce sentiment d'être seule face à l'épreuve. Je sais que tout le monde m'encourage et me supporte, mais je suis seule avec moi-même pour la monter cette montagne. Seule ? Pas tout à fait non plus. Il a y a le groupe. Malgré le peu d'échanges verbaux entre nous, une certaine connexion s'installe. On se suit et c'est motivant de savoir que tout le monde est encore là, que tout le monde persévère jusqu'au sommet. L'effet de groupe nous tire vers le haut. Et je marche. J'avance. Un pas. Un autre. Encore. 

Stella Point. À chaque arrêt précédant, quelqu'un a demandé si on y était. Cette fois-ci, c'est la bonne! C'est le soulagement qui m'envahit en atteignant ce point. Stella Point. Nous savons que c'est signe d'un sommet presque atteint. J'ai réussi à préserver suffisamment de forces pour pouvoir terminer cette ascension. Les premiers rayons de soleil nous atteignent, le ciel s'éclaire. Le sommet est tout près, 400 m peut-être, mais nous savons que ce dernier bout peut aussi être long et difficile. 45 minutes, 1 heure peut-être. Mon regard croise celui de Monika, plein d'eau. Mes larmes rejoignent les siennes. L'émotion est palpable! C'est si beau... Le soleil, le sommet tout près, les montagnes voisines, le glacier, les nuages plus bas que nous, la plaine, la ville au pied de la montagne, mon groupe, les sourires, les larmes... 

Nous entamons la portion finale de l'ascension. Une vague d'énergie m'atteint; le soleil qui monte, la chaleur qui arrive, le beauté qui s'ouvre devant nous, la réussite à quelques pas.... " Je capote!!!" Ma fatigue semble s'être envolée avec la noirceur. Je marche, légère. Je film, je prends des photos, je regarde autour, j'admire, je m'émeus. Ça reste ardu, mais je ne le sens plus. Je ralentis, j'accompagne Marco sur quelques mètres. Ça ne va pas bien, c'est très difficile. Je l'encourage, il ne répond même plus, il cligne des yeux.  Il prend une pause. Gérald l'accompagne et le supporte à merveille! Je rejoins Mélanie qui m'a devancée pendant mes arrêts contemplatifs. Je parcours le reste avec elle, je souhaite atteindre le sommet avec ma partenaires de montagne! Les yeux mi-clos, mais le sourire aux lèvres, elle est aussi contente que moi d'y arriver! Félicitations, contemplations, photos... Dans 15 minutes, nous redescendrons!

Voilà, c'était ça, notre ascension du Kilimandjaro. Notre ascension, de mon point vue! Car chacun vous la racontera à sa façon.

Avec un peu de recul, je fais le bilan de l'expérience, j'analyse le chemin parcouru...J'attribue une part de ma réussite au fait que j'ai réussi à vivre le moment présent. En fait, cela représente une réussite en soi, à mes yeux. J'ai pu rester dans le moment présent en portant toute mon attention sur chaque pas que je faisais. Ce pas, répétitif, qui fait que j'avançe et non pas que je me rends vers la sommet, ni que je m'éloignes du camp de base. Seulement un pas qui fait que j'avance. "En avançant ainsi, nécessairement, je me rendrai quelque part." me disais-je. Et ça me rappelle, encore une fois, cette citation que j'aime tant:

" On ne va jamais aussi loin, que lorsqu'on ne sait pas où l'on va". 

Ne connaissant pas le chemin à parcourir, ne sachant pas où est, ni de quoi a l'air, le sommet, je ne faisais que préserver au maximum mon énergie pour me rendre le plus loin possible. Parfois, lorsqu'on se donne un objectif précis à atteindre, on l'atteint, mais on n'a ensuite plus la force de faire plus. C'est arrivé à certains, qui ont tout donné pour se rendre à Stella Point, mais qui ensuite ont trouvé effroyablement difficile le dernier petit bout jusqu'au sommet final. Je me rends compte que la citation prend une nouvelle signification, elle appelle à vivre dans le présent. J'aime ça!